Texte de Christiane Laforge

lu à la présentation de Florence Munger

au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 18 juin 2011


En 1945, bravant l’interdit paternel, une petite fille de douze ans ose ses premiers pas de danse. Soixante-cinq ans plus tard, 14 000 enfants ont dansé sur ses pas. Aujourd’hui reconnue comme l'une des plus importantes écoles de ballet du Québec, tremplin de chorégraphes et danseuses de renom, l’École Florence-Fourcaudot est issue de la détermination à toute épreuve de sa fondatrice, Florence Munger.


Née le 17 juin 1933, dans une famille ouvrière de la rue Saint-Vincent de Chicoutimi, deuxième enfant d’une fratrie de douze, influencée par une mère mélomane, Florence Munger valse sur le clavier du piano, virevolte sur les cordes du violon, s’évade sur les plumes de sa poésie. Pourtant, à 12 ans, tel un marin attiré par le chant des sirènes, elle succombe irrémédiablement à l’appel du professeur de ballet Emma Proschek. Contre la volonté de son père, vêtue d’un short et pieds nus, Florence s’initie à la danse avec tant de passion qu’elle entraîne ses sœurs et ses amies à partager ses envolées rythmiques, ignorant semer les germes de sa future école de danse.


Rien ne sera facile. En 1950, la jeune réceptionniste du chiropraticien Jean Gaudreault travaille jour et soir pour gagner sa vie. Le samedi, elle transforme la salle d’attente en studio de danse. Les cours sont gratuits et Florence troque le prix du loyer contre le lavage des planchers de toute la maison. Elle ne pensait pas fonder une école. Le plaisir de la danse suffisait à justifier ses efforts. Plaisir contagieux : 40 jeunes s’inscrivent à son cours, bravant la réprobation du milieu clérical. « Les élèves se cachaient pour suivre les cours. J'ai été éjectée des Enfants de Marie parce que je dansais. On recevait des lettres anonymes. Les élèves étaient punies à l'école. On dénonçait la danse comme un péché. Nous n'avions pas le droit d'utiliser le mot ballet ou danse. On a donc dit art chorégraphique », raconte Florence Munger.


Complices, certains parents l’encouragent à progresser, quitte à « charger » un prix mensuel de 3 $ pour son travail. Elle craint, à tort, de perdre des élèves sans grands moyens financiers, mais, au contraire, elle y gagne de pouvoir étudier auprès de Maurice Morenoff, chorégraphe attitré des Variétés Lyriques à Montréal. Entre le gagne-pain du jour, les aller-retour à Montréal plusieurs fois par mois pour étudier la danse, les cours du soir, les multiples corvées d’entretien et les spectacles qu’elle produit à Chicoutimi et Jonquière, Florence crée le Studio d’art chorégraphique qu’elle gère seule jusqu’en 1960, plus ou moins dans la clandestinité face aux détracteurs de la danse. En 1968, sa sœur Rose-Ange prend le risque de l’insécurité pour un pas de deux qui vaudra à cette école honneurs, prix prestigieux et fierté d’avoir permis l’éclosion de grandes carrières à l’instar de celles que mènent avec brio Hélène Blackburn et Sonia Delwaide. En 1984, l’école privée de Florence, devenue Madame Fourcaudot en 1961, change de statut pour celui de société sans but lucratif : L’école Florence-Fourcaudot inc.


La persévérance, la qualité des enseignants et des maîtres de danses réputés, ses spectacles et son programme préprofessionnel, sont les atouts de cette école qu’une petite fille de 12 ans de la rue Saint-Vincent a propulsée de ses pieds nus. Une pionnière insoumise qui a dédié sa vie à l'amour de la danse, portée par une foi sans réserve en la nécessité de cet art.


Le 18 juin 2011

Florence Munger


Pionnière audacieuse et fondatrice

De la prestigieuse École Florence-Fourcaudot


fut reçue membre de L’Ordre du Bleuet


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dimanche 5 janvier 2014

Florence Munger Fourcaudot nous a quitté


Ce matin, sur le site de Radio-Canada Saguenay–Lac-Saint-Jean, Priscilla Plamondon Lalancette nous annonce la mort d'une grande dame, fondatrice de l'École de danse Florence-Fourcaudot.


Florence Munger Fourcaudot
1933 - 2014


         Une grande figure de la danse au Saguenay-Lac-Saint-Jean s'est éteinte samedi : Florence Munger-Fourcaudot. Elle avait 80 ans.

Elle avait fondé son école de danse en 1951, à Chicoutimi. Les cours y étaient alors gratuits.
C'est en 1961 qu'elle crée la société sans but lucratif qui porte son nom : l'école de danse Florence Fourcaudot. Au fil des ans, plus de 65 000 jeunes filles et quelques garçons y ont appris le ballet ainsi que les autres danses.

L'été dernier, l'école avait reçu une aide financière substantielle qui lui a permis de déménager dans les locaux plus spacieux l'église Saint-Luc, à Chicoutimi-Nord.

Elle était membre de l'Ordre du Bleuet depuis 2011.  

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L'œuvre de Florence continue. En juillet 2013, le ministre Maka Kotto confirmait l'octroi d'une subvention assurant l'école d'une substancielle subvention. Voici son allucation :

Maka Kotto
Ministre de la Culture et des communications

Je veux saluer mon collègue et ami, 
Stéphane Bédard, le député de Chicoutimi, ministre responsable de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et président du Conseil du trésor,
Monsieur Peterson, conseiller municipal,
Madame Florence Munger Fourcaudot,
Madame la Présidente du CA de l’école de danse Florence-Fourcaudot (Johanne Tremblay),
Monsieur le Responsable de la Fabrique Sainte-Anne (Jean-Yves Boivin),
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Au gouvernement du Québec, nous croyons fermement que les arts et la culture participent au raffermissement et à l’évolution du lien social et identitaire. Ce lien est essentiel à la santé de toute société. Avec la langue française, les arts et la culture nous permettent de nous épanouir, y compris par la danse, grâce à la passion de celles et ceux qui croient aux bienfaits physiques et psychiques de cette formidable discipline artistique.
Aussi, je suis très heureux d’être parmi vous pour annoncer une subvention de 3 378 500 $ pour le réaménagement, en fait la relocalisation de l’École Florence-Fourcaudot Spirale Expression Danse, ici même dans l’église Saint-Luc.
Cet investissement, à hauteur de 85 % du coût total du projet, vise notamment l’installation de cinq studios de danse, une salle d’attente et des bureaux administratifs. Par ailleurs, le chœur de l’église accueillera en alternance les élèves de l’école et la population pour la pratique du culte.
Un tel projet est fort pertinent, car il favorise la restauration d’une église sans la détourner de sa vocation première. Aussi, il convient de le souligner, le maintien de ce patrimoine unique comporte une valeur de développement durable pour la communauté.
Avec le soutien que le Ministère apporte à quatre écoles de danse sur son territoire, il ne fait aucun doute que la ville de Saguenay forme un terreau fertile en matière d’enseignement et de promotion de la danse.
Art, rituel ou divertissement, la danse prend différentes formes selon les cultures, mais toujours elle est révélatrice de nos vies et de nos sociétés, rendant visibles, dans les corps et dans l’espace, les idées et les rythmes qui nous animent.
Bien entendu, toute l’effervescence de cet art à Saguenay, et même au Québec, reflète l’influence de Mme Florence Munger Fourcaudot.
Dès l’âge de 12 ans, elle a osé ses premiers pas de danse à une époque où cet art était dénigré dans certains cercles et, de surcroît, elle allait à contre-courant de la volonté de son père. J’ai moi-même connu cette situation alors que je me destinais au théâtre et au cinéma.
Et son audace téméraire mérite d’être applaudie, car l’art et la culture au Québec auraient parfois battu de l’aile sans quelques insoumises et insoumis à l’image de Mme Munger Fourcaudot.
Du reste, l’insistance de quelques parents, mêlée à la passion contagieuse de l’enseignante, a suffi à dresser les piliers de l’une de nos belles institutions culturelles, autant d’événements qui sont survenus dans les années 1950, faut-il le rappeler.
Ce retour dans le passé trace un portrait éclairant de l’évolution de la danse au Québec. Cela nous laisse aussi deviner à quel point il fallait une conviction solide pour vivre de la danse et faire vivre la danse en région.
Soixante années plus tard, l’École a fait danser 15 000 élèves et révélé des danseuses et danseurs devenus professionnels. Elle aura permis à des artistes et à des créateurs de rester dans leur berceau d’origine ou de le regagner.
Or, il n’est pas tout de partager ses connaissances pratiques et théoriques du métier à ses élèves. Même nourri par la ferveur, l’enseignement ne verse pas dans la facilité ni dans la banalité si l’intention est d’amener les jeunes à repousser les limites de leur corps et de leur imaginaire... Et que tout cela demeure une source de plaisir.
Vous l’aurez donc compris : Florence Munger Fourcaudot a porté cet art en son cœur et j’oserais même dire en son âme… Elle mérite toute notre admiration. Je lui souhaite un prompt rétablissement.
En terminant, je tiens à remercier les personnes qui ont allumé l’étincelle de ce projet, ainsi que celles et ceux qui l’amèneront à son terme.
Merci de votre attention.

Maka Kotto
Ministre de la Culture et des communications

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Florence Munger-Fourcaudot
© Photo Le Quotidien - Archives


Un texte de Stéphan Bégin dans Le Quotidien :
 http://www.lapresse.ca/le-quotidien/actualites/201401/06/01-4726016-une-pionniere-seteint.php